Ecole du jeu vidéo : quel avenir pour les étudiants en France ?

Cyril Martinez dans Dossier le 15/11/2017

En France, on dénombre une vingtaine d’écoles du jeu vidéo renommées. La plupart sont concentrées à Paris ou en Ile-de-France, bien que progressivement, certaines d’entre elles se « délocalisent » dans d’autres régions de France. Ces écoles sont nombreuses et spécialisent les étudiants à des thèmes de développement de jeux vidéo pluriels : codage, graphisme, animation etc. Aujourd’hui, cette vingtaine d’écoles renommées fait sortir des diplômés talentueux, avec des bagages qui les accompagnent dans la voie en or qu’ils se sont tracés par cette formation. Il y a pourtant quelque chose d’intriguant dans tout cela : pourquoi, avec autant d’étudiants formés dans le jeu vidéo et d’écoles de renom en France, avons-nous si peu de réalisations françaises de qualité ou absente dans ce domaine en pleine croissance ? Musga tente de vous expliquer ce phénomène dans ce reportage.

 

2 Novembre 2017, Paris Games Week. Dans le pavillon 2.2 du salon attendu par tous les fans de jeu vidéo, au fond, presque à l’écart de tous les autres stands, 17 écoles françaises de formation au jeu vidéo se partagent une parcelle étroite de terrain. Les étudiants des différentes écoles participantes (LISAA, IIM Paris, ou encore Créajeux pour les plus connues) sont accompagnés de certains de leurs professeurs pour présenter leurs projets de jeu en développement depuis plusieurs années. De la VR, du jeu sur téléphone portable, du jeu sur PC… Tous les types de jeu vidéo sont représentés et démontrent une fois encore que les capacités de la France en matière de réalisation vidéoludique ne sont pas en reste.

 

Les partenariats entre les écoles et studios français

 

1. Baromètre du jeu vidéo en France 2014. Source : SNJV (Syndicat National du Jeu Vidéo)

 

Pourtant, force est de constater avec les dernières études, comme celle de l’INSEE en date du 11 Septembre 2017, que seulement 31% des fraîchement diplômés d’école de formation vidéoludique exercent leur métier dans un studio de développement français. Parmi ces studios français, Dontnod, situé dans le 19ème arrondissement de Paris, et qui a notamment réalisé les excellents Life is Strange et Remember Me, s’affiche comme celui de ceux recrutant le plus de diplômés français. En sus, il fait des partenariats avec certaines écoles, comme celle d’infographie : Isart Digital.

 

« Nous avons des partenariats solides avec certaines [écoles] qui nous font parvenir des stagiaires. Isart digital, à Paris, forme de bons designers de jeux. Dans la création et le dessin, les élèves sont très bien formés. Quand on sait que 80% des employés sont designers, ce n’est pas anodin. Les étudiants d’Objectif 3D à Montpellier sont formés directement sur le logiciel Unreal Engine que nous utilisons dans la création des jeux, ce qui les rend immédiatement productifs. Nous recrutons aussi des élèves de l’Enjmin d’Angoulême ou de Supinfogame de Valenciennes »

 

Oskar Guibert, le PDG de Dontnod, propos recueillis par Le Figaro en 2015.

 

La fuite des cerveaux : le malaise du jeu vidéo français

 

2. Baromètre du jeu vidéo en France. La France peu attractive. Source : SNJV

 

Tout semble beau, sauf que les studios de développement étrangers, notamment américains et canadiens, viennent mettre leur grain de sel. « J’avais reçu une proposition de stage d’Amplitude Studios à la sortie de l’IIM [école qui permet d’avoir une double formation création et gestion de projet, ce qui est très convoité par les studios, NDLR]. Sauf que  2K Games, un studio américain bien plus influent dans le domaine, m’en proposait également un. C’est un peu comme si on vous demandait de choisir entre une Renault Clio et une Cadillac Deluxe. Vous n’hésitez pas une seconde, même si vous laissez votre patriotisme de côté », témoigne Enzo qui animait le stand de l’IIM Paris à la PGW 2017 pendant la matinée. «  Je ne comprends pas cette logique », ajoute une autre jeune étudiante en écoutant Enzo, « les grands studios américains viennent recruter des diplômés français, alors que les grands studios français vont recruter des diplômés américains : c’est le monde à l’envers ! » poursuit-elle en levant les yeux au ciel.

 

Et en effet, en menant notre petite enquête, on découvre des choses assez intéressantes quant à ce recrutement étrange. On apprend ainsi que Pixar, le plus grand studio américain d’animation (à l’origine de Toy Story et tous les films d’animation collaboratifs avec Disney, par exemple), vient recruter nos têtes blondes françaises dès leur sortie de leurs écoles d’animation. Contacté sur Twitter, Olivier Staphylas, un de ces heureux élus, a accepté de témoigner. « En 2006, j’étais major de ma promotion. Lorsque j’ai passé mon oral de fin d’année, j’ai été abordé par la représentante de DreamWorks Animation. On a discuté, et 26 jours après, j’avais un billet d’avion pour Los Angeles », dit-il. « C’était un rêve d’enfant de travailler dans un grand studio d’animation américain. En quelques années, je suis passé de simple étudiant à Head of character animation, me voilà maintenant à diriger une centaine d’animateurs ».

 

Quand on lui parle des écoles formant au développement du jeu-vidéo, Olivier fait la même analogie « c’est le rêve d’une écrasante majorité d’étudiants de se voir offrir un contrat dans un grand studio américain ou canadien. C’est eux qui marchent le mieux aujourd’hui et qui font les meilleures réalisations, que ce soit dans l’animation ou le jeu vidéo » nous précise-t-il. Et même si leur passage dans ces studios s’avère de courte durée, cela reste une expérience en or sur le CV et assure un avenir serein au diplômé.

 

Pour 62% des entreprises spécialisées dans le jeu vidéo, la France est encore trop peu attractive pour investir sereinement (voir le compte-rendu du Syndicat National du Jeu Vidéo en 2014, ci-dessus). Un résultat qui signale que la France a encore beaucoup à faire pour jouer son rôle. Elle doit savoir s’armer correctement pour devenir un pays de l’industrie vidéo-ludique qui sache exporter des produits numériques de qualité et de renom en privilégiant l’emploi français, avec des formations numériques de qualité dans des écoles accessibles à tous. La fuite des cerveaux est bien trop importante, et la perte de nos talents nationaux ne peut permettre à notre pays d’être un véritable acteur du jeu vidéo dans le monde.

 

La France peut-elle jouer un rôle dans l’essor du jeu vidéo ?

 

Mais alors, nous, en France, on n’en a pas, des gros studios français ? Chez nous, le gros studio de développement de jeu-vidéo français est indéniablement Ubisoft. Crée par les frères Guillemot et co-mené par Michel Ancel (le papa de Rayman ou des Lapins Crétins), le studio a connu un essor colossal quelques années seulement après sa création. Désormais, Ubisoft exerce dans les quatre coins du monde et nous sort des gros titres AAA chaque année : Assassin’s Creed, Far Cry, Tom Clancy’s, Just Dance… Bref, toute une brouette de jeux qui ont marqué les amateurs de jeu vidéo. Contacté par nos soins, le responsable du service presse français n’a pas encore répondu à nos sollicitations pour nous expliquer pourquoi le studio recrutait surtout à l’étranger et non en France.

 

De fait, quel est le problème aujourd’hui qui fait qu’on assiste à une fuite des cerveaux et que la France peine à se faire une place dans le monde du jeu vidéo ? Synthétiquement et sans dresser une liste exhaustive de solutions (qui ne sont d’ailleurs pas incontestables), il faudrait déjà que les pouvoirs publics soutiennent tant la formation que les studios français. Un soutien d’abord financier, qui permette aux écoles français qui forment aux métiers du monde vidéoludique de se fournir suffisamment en matériels et en entretien. Bien que, pour beaucoup, l’entrée dans l’école soit déjà payante et souvent très coûteuse, un soutien de l’Etat favoriserait des frais de scolarité amoindris et donc permettrait à plus d’étudiants de pouvoir s’orienter dans ce cursus. Un soutien ensuite promotionnel et publicitaire, avec une coopération entre les Ministères de la Culture et celui du Numérique. Permettre aux écoles et aux studios français d’avoir un véritable prestige, pas seulement national mais international, paraît indéniable pour aider aussi la création française. D’autre part, et sans être dans une politique trop interventionniste, obliger les studios français, quel que soit leur chiffre d’affaire, à accueillir et recruter prioritairement les diplômés sortis d’une formation française. Ces deux mesures sont essentielles pour favoriser l’économie et l’emploi en France dans le domaine du jeu vidéo, un peu trop délaissé dans notre pays du camembert.

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