[Dossier] Peut-on encore jouer en multijoueur en 2017 ?

Cyril Martinez dans Dossier le 18/10/2017

Manettes, pack de chips et de sodas trônant à côté du canapé, qu’elle semble loin l’époque fameuse où nous partagions des parties endiablées entre amis sur une même console ! Que de moments mémorables passés : Golden Eye, Fifa, Mario Kart, Street Fighter… Tous ces fous-rires au premier bug et tant d’amitiés brisées en l’espace d’un Hadoken trop répété. Hélas, les éditeurs et développeurs ont décidé de tourner la page (trop ancienne ?) de ces périodes de complicité où l’écran séparé vous faisait perdre 3 points à chaque œil lorsque vous alliez après chez l’ophtalmo. Les sacrifiant sur l’autel de l’argent et de la rentabilité, ces gredins ont finalement eu le raisonnement de commerciaux aux dents longues : quel bénéfice avons-nous si les joueurs pratiquent tous sur la même console, le même jeu et sur le même écran ? Petit à petit, le multijoueur compétitif local par écran séparé a disparu de nos jeux préférés, préférant le local par… connexion internet (on n’arrête pas le progrès). Résultats ? Autant de consoles, de jeux et d’écrans qu’il y a de potes avec qui partager vos parties. Fut une époque où l’on aurait entendu la gronde, vu les millions de joueurs dans le monde défiler dans la rue, criant à la destruction des soirées pizzas-consoles… Sauf qu’ils ont réussi à nous faire passer la pilule à coups de communication bien rôdés. Retour dans ce dossier sur la place du multijoueur en 2017.

 

 

La fin du sacro-saint multijoueur en écran scindé – une philosophie du « tout connecté »

 

Ce n’est pas une surprise pour grand monde, l’arrivée des consoles huitième génération (PS4/Xbox One) a sonné le glas du multijoueur en écran scindé. Déjà bien mal en point dans les jeux de la génération précédente, ce mode se dénombre sur les doigts d’une main dans les sorties actuelles. Ce constat aussi triste qu’alarmant met fin à une politique de proximité pour une philosophie du « Tout connecté ». Philosophie que j’appelle aussi le « Mattrickisme » (en hommage à Don Mattrick, patron de la division Entertainment de Microsoft, qui avait annoncé en 2013 qu’une connexion internet serait obligatoire pour pouvoir jouer – même hors-ligne – à la Xbox One). On a aboli les frontières virtuelles et désormais, tout se fait par inter-connectivité : le dématérialisé ne relève plus que de l’achat du jeu-vidéo mais également des relations entre joueurs, même par exemple lorsque deux d’entre eux n’ont que quelques mètres de distance entre eux. Votre frère veut jouer avec vous au dernier Battlefield ? Il lui faudra pour cela une autre console, un autre jeu, un autre écran et une autre manette. Un commerce juteux et astucieux (mais pas très déontologique) qui permet au commerce du jeu-vidéo de prospérer sur le cadavre encore fumant du sacro-saint multijoueur en écran scindé qui ne demandait seulement qu’une manette supplémentaire pour chaque nouveau joueur. Il est évident qu’entre vendre une manette supplémentaire, ou le pack une console, un jeu et un écran supplémentaires, le choix des éditeurs est vite fait. Alors oui, on a vu progressivement, dès les prémices de la fin des consoles septième génération, disparaître cette option « écran scindé » sur les menus du mode multijoueur de nos jeux vidéo adorés. D’abord la rage, les pleurs, l’incompréhension, le déni, puis l’acceptation… Presque les phases du deuil.

 

Nintendo Switch l’irréductible ? Dans ce sombre tableau semble se dresser un espoir, une lumière venue nous libérer des ténèbres : Nintendo et sa dernière console – la Switch. À contre-courant de toutes les autres consoles et supports de jeux vidéo, cette dernière base justement son atout attractivité sur l’aspect multijoueur local et proximité entre les joueurs. Mieux encore, elle propose même de jouer à plusieurs avec moins de manettes (1 manette pouvant suffire à disputer des parties à 2 joueurs). 80% de la force de la Switch repose sur ce système : des jeux particulièrement axés sur le partage entre amis dans un même salon. Voilà qui est sympathique et devrait inspirer nombre d’autres éditeurs devenus très vénaux. Mais attention, car Nintendo semble tomber très vite dans l’extrême inverse, ce que je m’amuse à appeler le syndrome de la raclette (dont la parabole n’est pas la mienne, puisque vilainement piquée à Usul) : c’est génial quand on est plusieurs à partager ce moment, c’est carrément déprimant quand on est tout seul à le passer. Du coup, plein de jeux Switch n’ont aucun intérêt si l’on est seul chez soi…

 

Les jeux indés, ces sauveurs ? Finalement, seuls les développeurs de jeux indés semblent prendre la vraie mesure de ce qu’attendent les nostalgiques de cette époque où le multijoueur sur un canapé avec des potes relevait de séances quasiment religieuses et sacrées. D’ailleurs, rares sont les jeux indés proposés aujourd’hui (surtout sur PS4 et Xbox One) qui ne proposent pas de jouer entre amis en local : Shovel Night, Towerfall Ascension, Rogue Legacy etc. La liste est très longue et il serait peut-être même plus rapide de dénombrer les jeux indés ne proposant pas du multijoueur compétitif ou coopératif en local. Evidemment, le constat n’est pas tout rose et tout n’est pas parfait avec les jeux indés. Bien au contraire. Car qui dit jeux indépendants dit beaucoup, beaucoup, beaucoup, beaucoup, beaucoup, bref : beaucoup moins de moyens que les grosses productions AAA. Du coup ? Ben les jeux sont souvent très moches, avec un 2D pixel art digne des bornes d’arcade des années 80. Alors, finalement, cela retire véritablement un gros intérêt à ces titres. Ben oui, pourquoi ne pas tout simplement ressortir la vieille Nintendo 64 ou mieux, la Gamecube, la Wii, la PS2, la Xbox, pour rejouer en multijoueur local en sachant que les graphismes seront peut-être mieux ? Il reste encore à réfléchir sur la logique et la démarche.

 

Towerfall Ascension : l’exemple du jeu indé basé sur le multijoueur local

 

Les parties de multijoueur en LAN : « On fait comme PC »  

 

Finalement, les éditeurs de consoles se sont progressivement inspirés du modèle PC qui n’a que peu ou prou changé depuis des décennies. Au diable ce temps où l’on faisait des jeux vidéo sur console pour réunir des potes en soirée sur un même écran et une même console ! Place désormais aux parties LAN : chaque joueur amène sa console, son écran, sa manette, ses câbles etc. et on se retrouve tous dans le garage d’un pote pour être réunis comme au bon vieux temps, mais cette fois-ci avec un écran et une console pour chacun. ‘Faut voir le bon côté des choses : cela enlève les possibilités de tricher en zieutant sur l’écran du collègue. Et puis, cela évitera de perdre une rétine à cause de l’écran trop petit lié à la séparation en quatre d’un même écran. Pour retrouver les saveurs d’antan des parties déjantées avec ses camarades, la solution est donc le party LAN.

 

Un multijoueur en ligne de plus en plus élitiste sur consoles

 

On parlait de la philosophie du « Tout connecté » ou du « Mattrickisme ». En effet, depuis l’arrivée de la Xbox 360 et de la PS3, les constructeurs Microsoft et Sony ont misé beaucoup sur leur nouveau modèle de support en ligne (PlayStation Network et Xbox Live) et la nouvelle solidité de leurs serveurs pour des parties multijoueur d’une grande efficacité technique. Ont commencé cependant à s’afficher des petites divergences : tandis que Sony et PlayStation proposaient un service en ligne gratuit (avec un petit à côté payant : le PlayStation Plus permettant d’avoir des jeux gratuits chaque mois et des réductions un peu partout), Microsoft et Xbox ont commencé à proposer un service en ligne payant. C’est-à-dire que les joueurs devaient débourser (en plus de leur forfait internet) une somme assez rondelette pour profiter pleinement des parties multijoueur en ligne. Un abonnement de 50€ à l’année, tout de même. De quoi réjouir comme décevoir certains : d’une part, parce que cela permettait d’éviter les petits pyjamas de 12 ans venir polluer vos parties de Gears of War ; de l’autre, parce que justement, le multijoueur ne devait pas rester l’apanage de quelques-uns. Payer pour accéder à un contenu appartenant à un jeu pour lequel on a déjà mis le prix (entre 45 et 70€) a de quoi en effet faire grincer des dents.

 

Bien évidemment, la communication du côté de chez Microsoft était bien remplie : contrairement à PlayStation, nos serveurs sont stables, impeccables, fluides, aucun crash etc., en plus nos services sont bien plus performants, et puis, on vous offre des jeux chaque mois pour vous remercier. Bref, la com’ habituelle. Tout ceci aurait pu passer avec un peu d’indulgence jusqu’à ce que Sony s’y mette aussi… Sur PS4, le constructeur a annoncé que le jeu en ligne sera payant par un abonnement comme le faisait Microsoft déjà sur Xbox 360. Les deux gros éditeurs s’y sont donc consacrés : le jeu en ligne en 2014 sera payant. Une classification naturelle qui se fait par le solde du porte-monnaie. D’autant que Sony a annoncé cette année, en 2017, augmenter de 10€ le prix de son abonnement, passant de 50€ à 60€ l’année. Sympathique, non ? De son côté, le PC roule sa bosse tranquillement. À ce jour, aucune plateforme de distributions de jeux comme Steam, Origins etc. ne proposent un abonnement pour profiter aux jeux en ligne qu’ils proposent. Ce qui est une très bonne chose en plus d’organiser minutieusement l’exode progressive des joueurs console dégoûtés par la surenchère des prix vers le support PC. Les dernières statistiques ont de surcroit montré et prouvé que de plus en plus de joueurs abandonnent leur bonne console de salon vers le PC. L’un des critères (placé souvent entre la 4ème et 6ème position) relève du prix de l’abonnement en ligne sur console, gratuit sur PC.

 

Bref, au fil des années, on a vu le multijoueur devenir de plus en plus élitiste. Lorgnant d’abord sur le territoire du multijoueur local en écran scindé pour ensuite le faire disparaître, les éditeurs et développeurs ont peu à peu adopté une logique très commerciale basée sur la vente et la rentabilité. Une manette supplémentaire ne fait pas assez de chiffre d’affaires, qu’à cela ne tienne, on n’a qu’à leur vendre une console, un jeu et une manette supplémentaires. Puis, poussant le concept plus loin, le multijoueur a marginalisé une partie des joueurs en devenant un service payant sur console. Alors évidemment, à l’heure où le marché du jeu vidéo est juteux et bien rentable, mais tout autant hasardeux avec les fermetures massives de boites de développement, on ne peut pas vraiment reprocher aux commerciaux de faire leur beurre comme ils peuvent. Et de toute façon, les joueurs tombent dans le panneau et répondent assez naïvement à la nouvelle philosophie du « tout connecté » – une soumission sans zèle qui engraisse les poches des gros éditeurs. Alors… Pourquoi s’en priveraient-ils ?

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